Les réseaux d'échanges réciproques de savoirs.
CoursOutils transverses

Dans quelle théorie de l'échange s'inscrit cette réciprocité des dons, ou réciprocité positive ?

Par rapport à la théorie du don proposée par F. Boas, B. Malinowski et M. Mauss, système de dons où des biens de prestige circulent selon des rites précis et sur une base de réciprocité entre partenaires, où l'obligation de rendre au moins autant qu'on a reçu scelle l'alliance des communautés, où les dons appellent des contre dons, soit au même moment, soit à échéance, comment se situent les RERS ?

Dans un premier temps d'analyse , il apparaît que nous pouvons penser à trois, on pourrait même dire quatre, des temps de la réciprocité positive. : Le don, le don reçu, le contre don, le contre don reçu . Nous nous y retrouvons au sens où ce qui circule est au service du lien.

Complément

Quelques éléments de complexification du problème.

a) Dans ce qui se passe dans les RERS, il s'agit de ce que Serge-Christophe Kolm appelle « la réciprocité générale ». Ce qui est « donné » l'est à un réseau social, à un collectif, à la société, et ce qui est attendu et demandé l'est au même réseau . Il s'agit d'une « prise au tas » et d'une « mise au tas » des savoirs (Kolm). C'est un pari à la fois sur la complexification du rôle de chacun, c'est un choix d'articuler parité et altérité, c'est une « défamilialisation », « détribalisation » des rapports sociaux, c'est un garant de ne pas être empêtrés (empêchés !) dans des « reconnaissances »... de dettes. Le « donner » et le « recevoir » et le « donner à son tour » et le « recevoir à son tour », en un flux interminable (autant évidemment que chacun le souhaite), parce qu'ils s'inscrivent dans un réseau ouvert « déliant tout en reliant » construit, nous l'avons quasi toujours observé, d'autres rapports sociaux que ceux qui sont définis par le « contre-don ». Le « donner » invite au « donner aussi » en évitant tout rapport de mesure, de prestige, de rivalité. L'organisation « en réseau ouvert et transversale » de la réciprocité modifie donc ce qui apparaît, en un premier regard, comme la forme « admise » de la réciprocité.

b) De même, le refus de toute « comptabilisation » des savoirs (considérés comme incomparables, ici, et ceci est difficile tant il est vrai qu'ils sont, de fait, socialement hiérarchisés, ce dont il serait naïf de ne pas tenir compte), modifie les rapports de réciprocité. Là encore, ce choix de ne rien « compter », « comptabiliser », « comparer », instaure des relations de parité, qui en raison de ce refus, ouvrent à l'altérité (exemple même de ce qui ne se compte pas.

c) Le choix de considérer que tout ce qui compte ne se compte pas. Le choix de construire des relations dans lesquels on propose à chacun de découvrir qu'il peut « compter sur » autrui et qu'autrui peut « compter sur » lui.

d) Les nombreuses observations que nous avons faites du « plaisir de donner » que manifestent beaucoup de participants. On s'aperçoit, de plus en plus, que ce qui est appelé le contre don, comme contrepartie – si j'ai donné, je dois recevoir ; si j'ai reçu, je dois donner – est vécu tout à fait autrement : le plaisir du don, la règle du jeu proposé font plutôt référence à des « invitations à donner et à des invitations à recevoir », à la générosité non calculatrice . On découvre une autre forme sociale que celle du contre-don : on est dans le « don aussi ». Et il s'agit bien véritablement de don, don qui est lui-même, à chaque instant, le début d'autres invitations à donner proposées aux autres. Le don. Il y a là une ambiguïté que Pierre Bourdieu a contribué à dévoiler. C'est pourquoi la complexité de la réciprocité dans les RERS (c'est-à-dire de l'interaction des six dimensions que nous en présentons) est intéressante et à creuser encore davantage.

e) Nous en parlerons plus bas, ce qui change surtout assez radicalement par rapport à la théorie du don qui concernait des biens matériels, c'est la dimension de réciprocité formatrice : si le savoir est ce qui est donné, on s'aperçoit très vite que l'offreur en reçoit et en construit au moins autant qu'il en donne.

f) Cette pratique peut être éclairée par la définition du « capital social » que propose Pierre Bourdieu. “ Le capital social est la somme des ressources actuelles ou virtuelles qui reviennent à un individu ou à un groupe du fait qu'il possède un réseau durable de relations, de connaissances et de reconnaissances mutuelles, c'est-à-dire la somme des capitaux et des pouvoirs qu'un tel réseau permet de mobiliser . ” Et ce capital social, ici est mobilisé à la fois en faisant appel au double sentiment d'une commune humanité et de la richesse de la différence, mais aussi grâce à l'instauration d'une forme de parité sociale, y compris au niveau de l'aptitude à donner.« ... le don fait un pas de plus dans la définition de la liberté. Il ne pose pas le calcul rationnel comme condition de la liberté. La liberté spontanée du geste est affirmée : elle n'est le résultat ni d'un calcul, ni de l'ordre du réflexe. Elle est toujours effectivement « déjà là » dirait Merleau-Ponty, avant la raison. Le don est libre sans être une décision au sens des théories de la décision, sans être un calcul. Le calcul est mécanique, les liens sociaux ne le sont pas. Le don est incomplet. Quelque chose lui échappe en permanence, le rien, l'esprit du don, le supplément. On donne plus pour donner assez. Et c'est cela le don. C'est pourquoi on ne peut pas expliquer le don, même si on peut le comprendre. Donner recevoir, rendre sont des moments du don qui circulent dans tous les sens à la fois. Donner, c'est rendre et recevoir... C'est le contraire de la belle précision mécanique de l'offre et de la demande. Il n'y a pas d'explication réductionniste du don : si on le décompose en ses éléments, quelque chose s'échappe qui est justement sa spécificité. (Godbout, Caillé, 1992, p. 298) »

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